Les paradoxes |
Etymologiquement, paradoxe vient du grec para-doxa, "ce qui est contre l'opinion". Bien qu'actuellement plusieurs définitions existent, les diverses significations attribuées à ce mot conservent toujours cette référence à un énoncé provoquant une émotion de surprise, car contraire au sens commun, à ce qui est attendu.
Au sens strict, le paradoxe est "tout conclusion apparemment inacceptable dérivant de prémisses qui, elle, semblent acceptables, par le truchement de raisonnements qui semblent corrects". En réalité, soit la solution n'est pas réellement inacceptable, soit le point de départ ou le raisonnement peuvent être remis en cause par la mise en évidence d'une faille non perceptible au premier abord.
Dès lors, il existe plusieurs types de paradoxes, qui n'ont pas le même degré de "gravité", de gêne pour l'esprit. Plus le paradoxe est profond, plus la question du "comment y répondre est sujette à controverses", puisquil constitue un indice de la présence de déficiences dans la théorie sous-jacente. Historiquement, les paradoxes se retrouvent souvent associés à des crises majeures de la pensée scientifique, ces crises aboutissant parfois à des avancées révolutionnaires dans le domaine des mathématiques.
Dans un ordre (subjectif !) de profondeur réflexive nécessaire, nous pouvons distinguer :
1) Le raisonnement et la conclusion sont parfaitement exacts, mais la conclusion choque, parce que contraire à celle attendue ; c'est le "paradoxe" au sens classique du terme ; ainsi par exemple le paradoxe de Galilée, le paradoxe des ensembles infinis. Les propriétés des géométries non-euclidiennes peuvent également entrer dans cette catégorie.
Il n'est pas nécessaire de leur trouver une "solution", puisque le résultat est juste
2) La conclusion est exacte, les prémisses aussi, mais une faille bien cachée affecte le raisonnement. Il suffit alors de détecter cette faille, mais cette recherche peut donner des renseignements intéressants sur les modes de raisonnement mathématique et inciter à créer de nouveaux savoirs mathématiques. Ainsi, le paradoxe d'Achille et de la Tortue constitue une bonne motivation à parler de convergence de séries, y compris une incitation pédagogique. Le paradoxe des classes de Russell nous force à prendre un certain nombre de précautions dans la construction de la logique propositionnelle et nous dirige vers la théorie des types.
3) Le paradoxe dépend d'une prémisse particulière : paradoxes de Burali-Forti ou des catalogues paradoxe du barbier , deux variantes du paradoxe de Russell, paradoxe des boîtes ou de Newcomb.
De tels paradoxes démontrent simplement par l'absurde que l'objet dont il est question (le catalogue des catalogues qui ne se mentionnent pas, le barbier, le génie omniscient de Newcomb) ne peuvent exister. Éliminons leur existence, et il n'y a plus de paradoxe qui tienne. La solution du paradoxe de Russell peut également être comprise en ces termes, interdisant dans certains cas de traiter des classes de classes.
Ou bien, le paradoxe nous montre qu'une notion particulière (celle de surprise dans le paradoxe de l'interrogation-surprise) n'est pas définissable avec assez de rigueur pour servir de base à un raisonnement logique.
4) Le paradoxe est causé par le choix des axiomes sous-tendant la théorie dans laquelle il surgit.
Un premier cas est celui où la notion que l'on désire utiliser est mal définie. Il en est ainsi du paradoxe des cordes. Il nous montre qu'il y a un certain arbitraire dans le choix d'une mesure de probabilité.
Un autre cas est celui où la démonstration du fait incroyable, parfaitement correcte en elle-même, fait intervenir un axiome peu intuitif. On peut alors remettre en question l'axiome lui-même, à condition que cette dénégation n'ait pas des effets plus graves encore. Ainsi, le paradoxe de Hausdorff-Banach-Tarski se résout par le rejet de l'axiome du choix, mais est-ce une bonne idée ?
5) enfin, certains paradoxes, parfois dits "essentiels", semblent résister à toutes les investigations : axiomes et hypothèses naturels, définitions rigoureuses, raisonnement sans faille, et contradiction dûment constatée. Notre sentiment, mais d'aucuns le contesteront certainement, est que les paradoxes de Berry et de Grelling appartiennent à cette catégorie.
Notons que même le paradoxe de Grelling est peut-être un "type 4" : il semble disparaître si l'on rejette le principe du tiers-exclu, mais ce prix n'est-il pas trop cher à payer ?
V.G. et A.G.
Cliquez ici pour voir tous les paradoxes que nous avons répertoriés.
Références:
Falletta N., Le Livre des Paradoxes, Pierre Belfond, 1985
Gardner M., aha! Gotcha: Paradoxes to puzzle and delight, W.H. Freeman and Compagny, 1982 traduction française : La magie des paradoxes, Belin.
Grünbaum A., Modern Science and Zenos Paradoxes, Wesleyan University Press, 1967
Guillen M., Invitation aux Mathématiques: Des ponts vers l'infini, Albin Michel, 1995
Howard N., Paradoxes of Rationality: Theory of Metagames and Political Behavior, MIT Press, 1971
Maor E., To Infinity and Beyond: A Cultural History of the Infinite, Birkhäuser, 1987
Morris K., Mathématiques: La fin de la certitude, Christian Bourgeois, 1989
Rucker R., Infinity and the Mind: The Science and Philosophy of the Infinite, Birkhäuser, 1982
Sainsbury R.M., Paradoxes, Cambridge University Press, 1989
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Mise à jour: Novembre 2000 |