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Les paradoxes

Le paradoxe de Hausdorff-Banach-Tarski

Prenez une sphère parfaitement ordinaire. Découpez-la en 5 morceaux selon un plan bien défini. Réassemblez les morceaux, et vous obtenez deux sphères de même volume que la sphère initiale.

Choquant, n'est-il pas ?

Autant le dire tout de suite : cette opération de découpage ne peut être réalisée en pratique. Si c'était possible, il y a longtemps que les chercheurs d'or l'auraient utilisée à leur profit. Il n'est même pas possible de le dessiner. En effet, la frontière entre certains des morceaux est de surface infinie : on a affaire à un découpage fractal.

Mais bon, on a prouvé que la chose était mathématiquement possible, ce qui jette une ombre difficile à dissiper sur la notion traditionnelle de volume, notion que tout un chacun utilise couramment.

La démonstration de ce fait extraordinaire repose toutefois sur un axiome de la théorie des ensembles, appelé axiome du choix , qui affirme, pour simplifier les choses, que si on vous donne une infinité d'ensembles, vous pouvez définir une règle unique pour sélectionner un élément dans chacun d'entre eux. Axiome qui n'est guère intuitif. Alors, pourquoi ne pas imaginer qu'il soit le principal responsable ?

Le hic est que, en se privant de l'axiome du choix -et on a prouvé que ce n'est nullement nécessaire pour construire une théorie des ensembles cohérente- on se prive de nombreuses autres démonstrations, qui ont abouti, elles, à des résultats primordiaux.

face à cela , il y a plusieurs attitudes possibles :

1) On admet une théorie des ensembles sans axiome du choix, et une avec, et on travaille parfois avec l'une et parfois avec l'autre. Mais alors on crée deux mathématiques différentes, et les résultats de l'une ne peuvent être impunément transposés dans l'autre.

Une telle situation existe avec la géométrie d'Euclide et celle de Lobatchevskyi, mais le problème y est résolu par le fait qu'on a trouvé un moyen d'insérer un plan euclidien comme sous-ensemble d'un espace de Lobatchevskyi, et un plan de Lobatchevskyi comme sous-ensemble d'un plan euclidien. Autrement dit, on a un dictionnaire permettant de traduire les affirmations de l'une en affirmations de l'autre, certes un peu complexes, mais le lien est ainsi fait entre les deux versions de la théorie.

2) On admet l'axiome du choix, et le paradoxe HBT subsiste. Comme il ne gêne ni le reste des mathématiques, ni leurs applications pratiques, on ne s'en accommode pas trop mal. Cette position pragmatique est celle de la majorité des mathématiciens.

3) On considère qu'une telle construction, dès lors qu'elle ne peut être réalisée, est nulle et non avenue : les mathématiques étant l'art de construire des objets et de les étudier, une construction aussi artificielle et qui crée des objets que l'on ne peut comprendre sort du cadre des mathématiques pour entrer dans celui de l'exercice de style abstrait.

A.G.


Le paradoxe de Berry et le paradoxe de Grelling

Gag anodin ou paradoxe véritable, l'antinomie de Berry a fait se chamailler des générations d'intellos, les uns s'ingéniant à trouver les failles dans l'énoncé, les autres –dont le signataire de ces lignes- à les colmater aussitôt apparues. Par exemple, les versions classiques font appel à la notion de syllabe, qui est mal définie. Il faut donc parler de lettres. Dans sa version la plus précise, on peut l'énoncer comme suit :

Soit deux personnes (disons, Arthur et Betty) qui se mettent d'accord sur le vocabulaire pouvant être employé en parlant de mathématiques, sur le sens des mots. Arthur utilise ensuite ce vocabulaire pour définir des nombres naturels et les faire identifier à Betty.

Évidemment, il suffit de nommer les nombres, mais certains nombres peuvent être définis en beaucoup moins de lettres que leur nom n'en comporte.

Par exemple, "un million quarante huit mille cinq cent septante six" comprend 44 lettres (et 46 en France), mais peut être énoncé comme "deux à la puissance vingt" (21 lettres).

Ou bien, "huit mille cent cinq billions huit cent milliards sept cent quatre vingt neuf millions neuf cent dix mille sept cent neuf" (101 lettres) est avantageusement remplacé par "l'entier le plus proche de pi puissance trente-deux" (42 lettres).

L'éventail de lettres disponibles pour nos compères étant fini, seul un nombre fini d'entiers peuvent être décrits en un nombre fini, donné, de lettres (par exemple, avec trois lettres, on ne dispose guère que de "un", "six" et "dix").

L'ensemble des nombres qui ne peuvent être décrits en moins de n lettres est non vide, et est un sous-ensemble de celui des naturels ; il possède donc un plus petit élément (avec 3 lettres, c'est "deux").

Supposons maintenant que Arthur utilise la description suivante :

"le plus petit nombre que je ne puis te communiquer en moins de cent lettres"

Ce nombre existe, de par l'argument ci-dessus ; Betty peut même le retrouver, même si la procédure est complexe : produire toutes les phrases de moins de 100 mots avec le vocabulaire défini, éliminer celles qui sont syntaxiquement incorrectes ou qui ne parlent pas d'un nombre, lister les nombres définis par les phrases, les trier, trouver le premier non mentionné.

Le problème est que la phrase ci-dessus "fait" 61 lettres. En d'autres termes, le nombre en question peut être défini en moins de cent lettres, ce qui crée bien entendu une contradiction.

Pour se sortir de ce paradoxe, on peut toujours prétendre, comme pour le paradoxe des classes, que cette phrase définit un nombre à un niveau supérieur de parole, mais cela semble tellement artificiel … Il n'y a guère, dans cette phrase, de trace de cette auto-référence que Russell considérait à juste titre comme la source de nombreux paradoxes, depuis Epiménide ("ceci est un mensonge").

A-t-on fait quelque chose de dangereux dans ce raisonnement ? Non, selon moi, et la seule explication plausible serait que le langage "naturel" est mal adapté à la définition d'objets mathématiques et aux raisonnements. Mais, vu que l'on est obligé de l'utiliser, c'est nier toute l'activité mathématique.

Le paradoxe de Grelling semble nous diriger vers la même conclusion ; il s'agit d'une version "améliorée" du paradoxe de Burali-Forti, dépouillée des difficulté liées au fait qu'un objet mathématique fasse référence à lui-même ; ici, ce qui crée l'auto-référence, c'est le mécanisme même de la langue ("la langue a une double fonction, parler des choses et parler d'elle-même" disent les linguistes), et s'en priver, s'est se priver de parler de mathématiques.

Considérons l'ensemble des adjectifs qualificatifs de la langue française (toute autre langue conviendra aussi, bien sûr). Il apparaît qu'une minorité d'entre eux jouit d'une propriété particulière : ils possèdent la qualité qu'ils décrivent : bref, polysyllabique, français sont dans ce cas. mais long, monosyllabique, anglais ne l'ont pas.

Bien entendu, comme toute qualité ne peut être appliquée de manière sensée à un adjectif (pensez aux adjectifs de couleur), il y aura des cas ne pouvant être tranchés. Pour parler logique, on ne peut attribuer de valeur de vérité à la proposition "l'adjectif X possède la propriété X".

De même, certains cas peuvent être considérés comme "limites". Recherché est-il du vocabulaire recherché ?

Convenons d'appeler autologiques les rares élus dont on peut dire sans ambiguïté qu'ils se désignent eux-mêmes. Appelons de même hétérologiques tous les autres : ne se désignant clairement pas, cas limites et situations où l'adjectif n'est pas applicable à lui-même.

Nous avons donc défini deux nouveaux … adjectifs (qui, anecdotiquement, figurent dans certains dictionnaires ; difficile de leur dénier une identité).

Même si la classification peut dépendre d'une personne à l'autre (mettons, un cas que certains considèrent comme ambigu, d'autres pas), une telle classification est faisable une fois pour toute, et moyennant le tiers-exclu, tout adjectif sera dit autologique ou hétérologique.

Reste à classer ces deux-là. Où classez-vous hétérologique ?

S'il est hétérologique, il possède la propriété qu'il définit, et est donc autologique. Et réciproquement. Aïe !

Remarquez que l'on ne peut prétendre que le problème provient d'une classification mal fagotée : en rangeant a priori les cas douteux dans une des classes (ce qu'on ne peut en général pas faire des objets mathématiques), on s'est assuré de pouvoir utiliser avec efficacité le tiers-exclu.

… A moins que celui-ci ne soit précisément à remettre en question ? Faut-il traiter tous ce que disent les mots de la langue naturelle avec les outils de la logique floue ? Voilà qui mettrait en l'aire une quantité impressionnante de résultats mathématiques.

A.G.


Le paradoxe des catalogues et le paradoxe du barbier (paradoxe de Burali-Forti)

Souvent mentionné sous le nom de paradoxe (ou d'antinomie) de Burali-Forti, il met en avant l'impossibilité de décider si un objet pourtant rigoureusement défini possède ou ne possède pas une propriété pourtant élémentaire.

remarquez le mot antinomie, qui représente une prise de position ; il signifie en effet à peu près contradiction, et l'utiliser revient donc à admettre l'existence du paradoxe. Ce que, vous le verrez ci-dessous, n'est nullement nécessaire. Et quand on fait de la logique, moins on subit de paradoxes, mieux on se porte.

Il y a toutes sortes de catalogues (au sens large ; le produit de la consultation d'une base de donnée peut raisonnablement être considéré comme catalogues. La plupart d'entre eux ne se mentionnent pas. Mais quelques-uns devraient se mentionner ; par exemple, su l'imprimeur Machin produit une brochure reprenant sans exception toutes les publications de Machin, une des lignes devrait être "brochure reprenant les publications de Machin".

Classons donc les catalogues en deux catégories, bien inégales certes : celle des catalogues qui se mentionnent eux-mêmes et celle des catalogues qui ne se mentionnent pas.

Qu'est-ce qui nous empêcherait de faire alors un catalogue de tous les catalogues qui ne se mentionnent pas ? (et d'eux seuls)

Reste à voir maintenant s'il se mentionne lui-même. C'est très simple : supposons qu'il ne se mentionne pas; Alors, en vertu de la règle qui a conduit à son édification, il doit se mentionner. Ca ne marche donc pas.

Donc c'est qu'il se mentionne. Comme il ne mentionne que ceux qui ne se mentionnent pas, ils ne se mentionne donc pas. Aïe !

On remarquera que le développement de ce paradoxe est très semblable à celui de celui de Russell.

Comment se sortir du cercle vicieux ? On peut bien entendu interdire à un catalogue de se mentionner lui-même, mais ce serait dangereux. Plus raisonnable semble la suggestion qu'il n'est tout simplement pas possible de créer un catalogue ayant très précisément la qualité susdite, à savoir : mentionner tous les catalogues qui ne se mentionnent pas, et eux seuls. Car la personne qui le rédigerait ne serait pas capable de décider si son propre titre doit y figurer : qu'elle décide dans un sens ou dans l'autre, le catalogue extraordinaire créé ne répondra pas à la condition de création.

On a en quelque sorte démontré par l'absurde qu'un tel catalogue ne peut exister.

Il en est de même du célèbre paradoxe du barbier : considérons une petite ville dont l'unique barbier rase tous les hommes qui ne se rasent pas eux mêmes, et seulement ceux-là, condition somme toute logique. Se rase-t-il lui-même ? Comme ci-dessus, s'il se rase, il ne se rase pas, de par la règle de discrimination définie ; et s'il ne se rase pas, il doit, de par la condition, se raser.

La solution est la même que ci-dessus : la condition crée une contradiction, on a prouvé qu'un barbier répondant à cette condition ne peut exister.

Remarquons la solution humoristique de M. Gardner : "non, elle ne se rase pas".

Il suffit évidemment de remplacer hommes par humains pour que cette "solution" ne fonctionne plus.

A.G.


Le paradoxe des deux boîtes

Dans quelques instants, vous allez être confronté à un choix difficile. Imaginez deux boîtes A et B devant vous: la première est transparente et contient 10.000 francs, la seconde est opaque. Un Être Supérieur, présent à vos côtés, a la capacité de prédire avec quasi-certitude le choix de tout individu se trouvant face à une alternative. Il vous déclare ceci: "Vous n'avez que deux possibilités. L'une est d'ouvrir les deux boîtes et de conserver leurs contenus respectifs, mais si j'ai prédit que vous feriez cela la boîte B sera vide. L'autre est d'ouvrir uniquement la boîte B, si j'ai prédit que c'est ce que vous feriez elle contiendra 1.000.000 francs. Par le passé, mes prédictions se sont toujours avérées mais il est théoriquement possible, quoique très peu probable, que je me trompe. Ma prédiction vous concernant est déjà faite et l'argent disposé en conséquence".

Matrice des gains

PREDICTION DE L'ETRE

VOTRE CHOIX    

  boîte B boîtes A et B
boîte B 1.000.000 F 0 F
boîtes A et B 1.010.000 F 10.000 F

Alors, quel est votre choix ? Pas compliqué me direz-vous ... que l'on ouvre les deux boîtes ou juste la boîte B, l'Être Supérieur l'aura très certainement prévu et donc il est préférable d'opter pour la seconde solution. C'est un point de vue intéressant mais en voilà un autre: l'Être Supérieur a déjà effectué sa prédiction, la boîte B est soit vide soit remplie d'un million de francs et cela ne changera plus. Il est par conséquent préférable d'ouvrir les deux boîtes car, dans les deux cas, la somme gagnée sera de 10.000 francs supérieure à celle remportée en n'ouvrant que la boîte B.

Le paradoxe réside en ce que chacune des solutions proposées peut se voir justifiée d'une façon parfaitement rationnelle et convaincante. Il renvoie face à face les partisans d'un déterminisme radical (le futur est entièrement déterminé) optant pour l'ouverture de la boîte B et les partisans du libre arbitre optant pour l'ouverture des boîtes A et B.

Classiquement, l'analyse du paradoxe de Newcomb fait appel à la théorie des jeux: ce serait le conflit entre deux principes de base de cette théorie qui est à l'œuvre ici. Le principe de l'utilité attendue soutient que, face à plusieurs choix valables, un individu fera le choix susceptible de lui apporter le maximum d'utilité espérée, ici la plus grosse somme d'argent. Prendre la boîte B constitue donc le choix le plus rationnel. Suivant le principe de dominance, si nous supposons le monde divisé en états (ici, chacune des colonnes de la matrice des gains) et si vous avez avantage à réaliser l'action n°1 plutôt que l'action n°2 dans au moins un état alors, même si les choix sont indifférents dans les autres états, vous avez encore tout intérêt à choisir l'action n°1 qui domine les autres. Prendre les deux boîtes constitue donc le choix le plus rationnel. Cette situation contradictoire demeure tant que la probabilité que l'Être Supérieur prédise la vérité est supérieure à 50%.

Ce n'est que récemment que le paradoxe de Newcomb fut l'objet d'une nouvelle analyse mais cette fois dans le cadre de la théorie des décisions. Suivant cette perspective, un choix effectué par un individu ne donne pas lieu à un seul résultat certain et spécifique, mais plutôt à un ensemble de résultats possibles dont les probabilités d'occurrence sont différentes et dépendent d'éléments externes appelés états de la nature: il importe dès lors de savoir si la prédiction est exacte ou non.

Nouvelle matrice
des gains

ETAT DE LA NATURE

VOTRE CHOIX    

  prédiction exacte prédiction inexacte
boîte B 1.000.000 F 0 F
boîtes A et B 10.000 F 1.010.000 F

Nous constatons que, dans ce cas, les deux meilleures solutions dépendent de l'état de nature qui prévaut. Pour cette raison, aucun des choix ne prédomine et c'est uniquement le principe d'utilité attendue qui est applicable ici. Par conséquent, tant que la probabilité d'une prédiction exacte reste supérieure à 50%, la boîte B constituera le meilleur choix à faire ... le conflit disparaît!

 V.G.

 La résolution ci-dessus admet l'existence d'un tel Être Supérieur. Pour moi, qui suis un farouche défenseur du libre-arbitre, la solution est autre : un être capable de prédire ce que je ferai ne peut exister. Bien entendu, si vous êtes fin psychologue, vous pouvez prévoir comment je déciderai, mais une fois que votre prédiction est arrêtée, j'ai le droit de tenter de déjouer votre prédiction, et c'est à mon avantage. Éliminez l'Être Supérieur, vous éliminez le paradoxe.

A.G.


Le paradoxe des ensembles infinis

Comme la majorité des nombres entiers naturels (positifs) ne sont pas des carrés, il existe plus d'entiers naturels que de carrés:

1    2     3    4    5    6     7    8    9    10     11    12    13    14     15    16    17     18    .....
......................................................................................................................

Mais tout entier positif possède un carré et, de ce fait, il y a autant de carrés que d'entiers naturels:

1    2    3    4     5    6    7    8     9    10    11    .....
1   4   9   16   25   36   49    64   81   100   121 .....

En 1634, Galilée pensait que l'origine de ce paradoxe résidait en l'application des principes euclidiens suivants:

"Le tout est toujours égal à la somme de ses parties" et "Le tout est toujours plus grand que n'importe laquelle de ses parties". Il en déduisit que, si les relations "inférieur à", "égal à" et "supérieur à" peuvent légitimement s'appliquer aux ensembles finis, il n'en est rien lorsque nous travaillons sur des ensembles infinis et donc, nous ne pouvons pas comparer les tailles respectives de tels ensembles.

Toutefois, G. Cantor va proposer vers 1870 un critère de comparaison des infinis: si nous pouvons apparier les objets de deux ensembles infinis de manière telle que chaque objet d'une collection infinie corresponde à un objet de l'autre collection, et qu'aucun objet ne reste dans aucun des deux ensembles, les deux infinis sont dits équipotents.

Considérons l'ensemble des entiers naturels et l'ensemble des nombres rationnels (ces derniers peuvent s'écrire sous la forme d'un quotient de deux nombres entiers premiers entre eux). Intuitivement nous pensons qu'il existe plus de rationnels que d'entiers, puisqu'il suffit de voir qu'entre deux nombres entiers quelconques nous pouvons construire une infinité de ces rationnels. Mais qu'arrive-t-il lorsque nous appliquons le critère de comparaison de Cantor ?

Écrivons d'abord les fractions pour lesquelles la somme du numérateur et du dénominateur vaut 2, puis 3, 4, 5, 6 et ainsi de suite:

1/1     ;      2/1 , 1/2     ;     3/1 , 2/2 , 1/3     ;     4/1 , 3/2 , 2/3 , 1/4      ;     5/1 , 4/2 , 3/3 , 2/4 , 1/5      ;     ......

Nous obtenons ainsi des sous-ensembles de plus en plus longs mais toujours finis et, pour résultat final, la suite infinie de toutes les fractions existantes, bien que non rangées par ordre croissant. Dès lors, il devient possible d'établir une correspondance terme à terme entre les éléments de cette suite et ceux de l'ensemble des nombres entiers naturels.

En conclusion, ces deux ensembles infinis sont de taille identique ou de même puissance. Leur cardinal, c'est-à-dire le nombre d'éléments d'un ensemble, est désigné par "aleph zéro" et correspond à la puissance du dénombrable le cardinal de tout ensemble équipotent à celui des entiers.

Une conséquence étonnante de ce qui précède est que, dans le monde de l'infini, la partie peut être égale au tout

exemple:

Soient
N l'ensemble des entiers naturels { 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, ... }
P l'ensemble des entiers naturels pairs { 0, 2, 4, 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18, 20, 22, ... }
I l'ensemble des entiers naturels impairs { 1, 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15, 17, 19, 21, 23, ... }

cardinal de N = cardinal de P = cardinal de I = aleph zéro

     N = P + I   =>   car N = car P + car I    =>   Aleph zéro = Aleph zéro + Aleph zéro ! !
     P = N - I   =>   car P = car N - car I    =>   Aleph zéro = Aleph zéro - Aleph zéro ! !

Cantor va ensuite s’attaquer à l’ensemble des nombres irrationnels (ceux-ci ne peuvent s'écrire sous la forme du rapport entre deux entiers) et démontrer qu’il existe plus d’irrationnels que d’entiers naturels. Nous ne pourrons donc jamais énumérer la totalité des irrationnels; certains infinis sont dénombrables tandis que d’autres ne le sont pas.

Imaginons que tous les nombres irrationnels de l’intervalle [0,1] puissent être inscrits sans ordre particulier sur une colonne unique:

0,17648567... (absence de périodicité dans les décimales) 1
0,23458234... 2
0,62346286... 3
0.34337611... 4
0.13567663... 5
0,25846963... 6
0,32589664... 7
... ...

L’appariement avec l’ensemble des entiers naturels ne peut vider exhaustivement l’ensemble des irrationnels car il existera toujours au minimum un irrationnel exclu de cette colonne unique. Comment donc trouver un tel nombre? L’astuce consiste à prendre la première décimale du nombre n°1, la deuxième décimale du nombre n°2, la troisième du n°3, ... , la kième décimale du nombre n° k, ... , et à changer arbitrairement la valeur de chacune de ces décimales. Nous obtenons alors un nouveau nombre irrationnel, nombre qui diffère du premier par sa première décimale, du second par sa deuxième décimale, ... , du kième par sa kième décimale, ... , et ainsi de suite:

le nombre 0, 1 3 3 3 7 9 6 deviendrait par exemple 0, 3 5 6 4 8 2 4

Dans le cas des irrationnels, nous ne parlons plus de puissance du dénombrable mais de puissance du continu.

V.G.


Le paradoxe des classes

La conception courante, en accord avec notre intuition, de ce qu'est une classe inclut le principe d'existence de classe: "Pour toute condition intelligible F, il y a une classe X telle que, pour tout objet Y, Y est membre de X si et seulement si Y satisfait à F".

Si Socrate est un homme alors il est membre de la classe des hommes. Comme celle-ci contient plus de cent membres, elle est également membre de la classe de toutes les classes de plus de cent membres. La classe des hommes est une classe et non un homme, mais la classe de toutes les classes est elle-même une classe ... Ces quelques exemples illustrent le fait que si, dans bien des cas, une classe n'est pas membre d'elle-même, mais bien d'autres classes l'englobant, quelquefois, une classe peut être membre d'elle-même.

Dès 1901, B. Russell va s'interroger sur la classe W de toutes les classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes. La condition nécessaire et suffisante pour qu'un objet soit membre de W est que ce même objet soit une classe non-membre d'elle-même. A votre avis, la classe W est-elle oui ou non membre d'elle-même?

1° Si nous supposons que oui, alors W doit vérifier la condition nécessaire "ne pas être membre de soi-même" et nous aboutissons donc à une contradiction puisque W appartient.gif (839 octets) W si W appartientpas.gif (844 octets) W.

2° Si nous supposons que non, alors W doit vérifier la condition suffisante "ne pas être membre de soi-même" et nous obtenons une nouvelle contradiction car W appartientpas.gif (844 octets) W si W appartient.gif (839 octets) W.

Pour Russell, l'origine du paradoxe s'explique par la condition F impliquée dans la spécification de W. Il a donc introduit le terme de "cercle vicieux" pour décrire cette condition, en proposant de la considérer comme étant inintelligible, dépourvue de signification et ne donnant pas lieu à l'existence de la classe W correspondante ... bien que notre compréhension des classes nous rende très naturel de supposer qu'une telle classe puisse exister.

Au départ de ce constat, et en se basant sur le principe suivant lequel "Tout ce qui implique la totalité d'une classe ne peut être membre de cette classe", Russell va adopter une approche restrictive des classes au travers de la théorie des types. Suivant cette dernière, les classes sont arrangées hiérarchiquement de manière à ce que toute classe se situe à un niveau supérieur à chacun de ses membres:

1° Un objet individuel est de type 0;
2° Une classe d'objets est de type 1;
3° Une classe de classes d'objets est de type 2;
4° ...
5° Une classe n'est jamais membre d'elle-même.

Cette théorie des types a notamment permis de résoudre les contradictions inhérentes aux nombreux énoncés auto-référents que nous retrouvons en mathématiques. En voici deux exemples:

1° La loi du tiers-exclu qui intervient dans le raisonnement déductif classique "Toute proposition est ou vraie ou fausse" constitue elle-même une proposition et, par conséquent, elle peut être soit vraie soit fausse!

2° La proposition "Toutes les règles présentent des exceptions" est une règle et peut donc également avoir des exceptions. Nous en déduisons qu'il existe des règles sans exception!

Le paradoxe disparaît si nous considérons que la règle générale énoncée est de niveau supérieur aux règles particulières et n'est, de ce fait, pas applicable à elle-même. En résumé, la véracité d'une proposition de niveau n n'est vérifiable qu'au niveau n+1.

Malgré l'effort de Russel pour conserver intact le principe d'existence de classe, la limitation qu'il y a introduit, à savoir le fait pour une classe de ne pas pouvoir être membre d'elle-même, eu un effet restrictif énorme sur les mathématiques, principalement sur la théorie générale des ensembles.

Un autre moyen pour tenter de résoudre le paradoxe de Russell est de se fonder non plus sur un système logique bivalent "Y est membre de X" et "Y n'est pas membre de X" mais plutôt sur une logique trivalente. Dans un tel système, une classe peut être membre d'elle-même, peut ne pas être membre d'elle-même et enfin, elle peut être ou ne pas être membre d'elle-même sans que nous pourrons jamais déterminer avec certitude laquelle des deux options est la bonne:

          X appartient.gif (839 octets) X;
          X appartientpas.gif (844 octets) X;
          X appartient.gif (839 octets) X ou X appartientpas.gif (844 octets) X => indécidabilité !

L'indécidabilité fit son entrée dans le paysage mathématique en 1931, lorsque le logicien K. Gödel établit qu'il était impossible de construire un système axiomatique complet et cohérent de l'arithmétique. Mais ceci est une autre histoire ... riche en rebondissements et perspectives nouvelles pour les mathématiciens.

V.G.


Le paradoxe de la corde

Même si vous ne vous considérez pas comme un "matheux", vous avez très certainement déjà entendu parler de probabilité. Avec sa commère la statistique, nous les retrouvons un peu partout, elles sont très en vogue actuellement.

Eh bien, voici donc un petit problème que nous aimerions soumettre à votre perspicacité. Rassurez-vous, il n'est nullement besoin d'être expert en théorie de probabilités, une approche géométrique suffit à résoudre celui-ci.

Considérons un cercle de rayon R. Quelle est la probabilité pour qu'une corde C (un segment joignant deux points du cercle), choisie au hasard dans ce cercle, soit plus longue que le côté T du triangle équilatéral inscrit? Vous ne voyez pas ... pourtant il existe trois solutions!!!

Premier raisonnement: la longueur d'une corde est déterminée par la position de son milieu M(x,y) à l'intérieur du cercle. Admettons une répartition uniforme de M dans celui-ci. La corde C sera plus grande que T si M se trouve dans le petit cercle ð inscrit dans le triangle équilatéral inscrit.

La probabilité P1 cherchée vaut donc =

Surface du petit cercle
------------------------------------------
surface du cercle de rayon R

=

pi.gif (846 octets) (R/2)²
------------
pi.gif (846 octets)

= 0,250

Deuxième raisonnement: la longueur de la corde C est donnée par la distance r de son milieu M(r ,q ) au centre du cercle. Considérons M sur un rayon quelconque et admettons que la répartition du point M sur ce rayon soit uniforme. La corde C sera plus grande que T lorsque r sera plus petit que R/2.

La probabilité P2 cherchée vaut donc =

Distance de T au centre O
------------------------------------------
Distance d'un point du cercle à O

=

R/2
------------
R

= 0,500

Troisième raisonnement: fixons l'une des extrémités A(a ,R) de la corde, l'autre M(ß,R) étant choisie au hasard sur la circonférence. Admettons que la répartition de M sur cette même circonférence soit uniforme. La corde C sera plus grande que T si M se trouve sur l'arc de cercle G.

La probabilité P3 cherchée vaut donc =

longueur de l'arc G
------------------------------------------
longueur de la circonférence

=

2pi.gif (846 octets)R / 3
------------
2pi.gif (846 octets)R

= 0,333...

Et comme ceci vaut pour tous les points du cercle, c'est bien un tiers du total des cordes qui est de longueur suffisante.

corde01.gif (7117 octets)

Si ce problème de cordes vous paraît insurmontable, n'allez tout de même pas jusqu'à vous pendre, ce serait le comble! La coexistence de ces différentes réponses semble évidemment contradictoire. Pourtant, la solution est simple, il suffisait d'y penser.

L'origine de ce paradoxe, exposé par J. Bertrand au début du siècle, réside en ce qu'il a posé une hypothèse différente pour chaque raisonnement, à savoir que les paires respectives de paramètres (x,y) , (r ,q ) et (a ,ß) , qui caractérisent la localisation de la corde C dans le cercle, sont supposées être uniformément distribuées dans la zone considérée. La probabilité recherchée est donc définie de trois manières différentes, ce qui revient à dire qu'en réalité trois problèmes différents sont résolus.

Lorsque nous fixons la distribution d'une paire donnée (ex. a et b ), les répartitions des quatre autres paramètres peuvent être calculées de façon univoque, mais elles ne seront pas nécessairement uniformes et ce, même si a et b sont distribués de cette manière. Donc, une fois l'hypothèse choisie, il faut porter son attention à ne pas en faire une autre qui la contredise.

Du point de vue géométrique, l'hypothèse la plus naturelle est de considérer r et q comme étant indépendants et uniformément répartis sur les intervalles suivants:

intervalles.gif (1136 octets)

Dans ce cas, c'est la première solution suggérée qui est la bonne.

V.G.


Le paradoxe de Galilée

Un segment de 2 cm ne contient pas plus de points qu'un segment de 1 cm. Voilà, dans toute sa crudité, le paradoxe de Galilée.

Mais, direz-vous, il est cependant plus long ?

Oui, mais cela ne prouve rien … et voilà déjà la solution qui se profile à l'horizon : il faut déconnecter les notions de mesure au sens ordinaire et de cardinal d'un ensemble.

galilee03.gif (1716 octets)

A chaque point du petit segment correspond, par le biais de la projection, un point du grand segment. Il y a donc bien le même nombre de points dans les deux segment ; considérés comme ensemles de points, ils sont équipotents.

Il est de même possible de montrer qu'un segment a le même cardinal qu'une droite ; par exemple, en utilisant la fonction qui envoie x sur tg ((x-1/4)/p ), on crée une bijection entre ]0 , 1[ et la droite réelle.

Et une droite a le même cardinal qu'un plan ; considérons en effet la bijection qui associe à un couple de nombres réels :
(345,6789… ; 12,3456…)
le nombre :
31425,36475869…

Elle associe à chaque point de la droite réelle un point du plan dont les deux éléments du couple ci-dessus sont les coordonnées.

En résumé, tous les segments sont équipotents à une droite, elle-même équipotente à un plan (ou même à l'espace entier). Le tout est équipotent à la partie. et alors ? C'est une de ces bizarreries que l'on rencontre lorsque l'on traite l'infini, pas une absurdité !

A.G.


Le paradoxe d'Achille et de la tortue

Voici très certainement l’un des événements historiques majeurs de l’Antiquité classique, épisode qui depuis lors a fait couler l’encre des mathématiciens et philosophes. Heureusement, nous disposons d’un témoin de marque en la personne de Zénon d’Elée qui, vers -465, en consigna le récit:

"Pour une raison maintenant oubliée dans les brumes du temps, une course avait été organisée entre le héros Achille et une tortue. Le premier se déplaçant beaucoup plus vite que la seconde, celle-ci démarra avec une certaine avance pour équilibrer les chances des deux concurrents. La première chose à faire pour Achille fût de combler son retard en se rendant à l’endroit de départ de la tortue qui, pendant ce laps de temps, s’était déplacée. Achille dut donc combler ce nouvel handicap alors que la tortue, bien que d'une lenteur désespérante, continuait inexorablement sa route, créant ainsi un handicap supplémentaire... Battu et furieux, Achille exigea une revanche mais rien n’y fit, ni la longueur de la course, ni la vitesse de déplacement d’Achille. En effet, aussi petits que soient les handicaps successifs créés par la tortue, Achille mettait toujours un certain temps pour combler chacun d’entre eux et, malgré tous ses efforts, il ne put jamais rattraper la tortue!"

CONTROVERSE

Le simple bon sens et l’observation quotidienne nous assurent de l’impossibilité de cette histoire. L’objectif de Zénon d’Elée en proposant pareil sophisme était d’amener ses contemporains à réfléchir sur les contradictions inhérentes à une conception de l’espace et du temps comme étant des continuums indéfiniment divisibles, au sens où ils seraient composés d’une infinité de parties non-chevauchantes, chacune d’elle ayant une dimension finie non-nulle. (VG)

Certains prétendent que Zénon était parfaitement sincère en proposant son histoire. La philosophie des Eléates tenait que le monde est immuable, et que les mouvements observés ne sont qu'illusion. Pour appuyer son point de vue, Zénon utilisa divers paradoxes, dont celui-ci, afin de montrer que ce que nous connaissons sous le nom de "mouvement" présente des contradictions internes, et doit donc être rejeté. (AG)

Considérons un segment de droite de dimension finie. Suivant ce qui précède, il serait possible de le diviser en une infinité de petits segments, ceux-ci ayant une taille nulle ou non-nulle. Dans le premier cas, en les mettant bout-à-bout, ajouter des quantités nulles à d’autres quantités nulles conduit à un segment de dimension nulle et, par conséquent, les petits segments devraient donc être de taille finie non-nulle. Mais, dans ce cas, ajouter des segments, mêmes minuscules, en nombre infini conduit à un segment de droite de longueur infinie! En résumé, Achille ne pourrait rattraper la tortue qu’au terme d'une course infiniment longue...

Ce n’est que tardivement, au 17ième siècle, que des mathématiciens vont parvenir à montrer que, sous certaines conditions, la somme d’une infinité de nombres peut être finie. En voici un exemple typique:

Soit la série géométrique finie S, telle que S = a + aq + aq2 + aq3 + aq4 + aq5 + aq6 + aq7 + .... + aqn-1 ( i )
où n = nombre de termes de la série,
     a = terme initial de la série,
     q = raison de la progression = jième terme / (j-1)ième terme

Multiplions ( i ) par q:
qS = aq + aq2 + aq3 + aq4 + aq5 + aq6 + aq7 + aq8 + ... + aqn ( ii )

Soustrayons ( ii ) à ( i ):
S - qS = a - aqn   =>   S = a . (1 - qn) / (1 - q) avec q different.gif (843 octets) 1

si -1 < q < +1 , alors qn va décroître de plus en plus lorsque n augmente
donc qn -> 0 si n -> infini.gif (851 octets) et
achille01.gif (1025 octets) avec -1 < q < +1

La série géométrique a + aq + aq2 + aq3 + aq4 + aq5 + ... + aqn-1 + ... converge donc vers cette valeur pour n tendant vers l’infini et q compris entre -1 et +1.

A l'aide de ce nouvel outil mathématique, pouvez-vous calculer la distance que devra parcourir Achille avant de rejoindre la tortue?

achille02.gif (3936 octets)

Le résultat essentiel à retenir est qu’il n’existe pas de contradiction entre d’une part, l’hypothèse d’un continuum spatial et temporel, et d’autre part, la réalisation d’une séquence infinie de tâches, puisque cette même séquence peut se voir accomplie en un temps fini.

Remarquons néanmoins que rien ne prouve la véracité de cette hypothèse. Dans la réalité, l’espace comme le temps pourraient être discrets, granulaires, à l’image de l’énergie et des quanta de la physique théorique. De même, pensez-vous qu’Achille soit réellement obligé de combler une infinité de handicaps avant de rejoindre la tortue?

V.G.